<< articles de presse 

L’imprécateur


Une affaire d’Etat étouffée au Palais de Justice de Paris ? Ou juste une guerre sans vainqueur entre un avocat franc-tireur et le barreau bien embarrassé.

Silence, on radie. Dans ses locaux feutrés, ce 17 décembre 2002, l’ordre des avocats de Paris juge l’un des leurs. Motif, «manquement à l’honneur». Diantre, le grief est d’exception ! Exit Me Bernard Méry, docteur en droit et défenseur depuis trente ans, coupable de propos «discourtois» à l’endroit de confrères, d’experts ou d’administrateurs judiciaires, rédacteur d’odieuses citations directes à l’encontre de respectables magistrats et auteur de deux brûlots nauséabonds vendus sous la robe: «Justice, franc-maçonnerie, corruption» et « les Nouveaux Parrains» (entendez : liés par le serment maçonnique). Ouvrages virulents, truffés d’attaques personnelles, de révélations désagréables… mais que chacun se garde bien de poursuivre en justice. Dans cette passe d’armes extraordinaire, la cour d’appel a décidé – ô surprise – de renvoyer, le 2 avril, l’Ordre dans ses cordes : elle a annulé la radiation pour prononcer une suspension d’un an d’exercice professionnel…
Certes l’Ordre, cabré sur la dignité d’ex-bâtonniers dont l’appartenance à la franc-maçonnerie a été – à tort ou à raison – révélée par Méry et de confrères malmenés, avait eu la main lourde selon nombre d’observateurs préférant rester anonymes. D’inflexibles confrères pensent, eux, que Méry «relève de la médecine». Tandis que devant la cour d’appel, lors des plaidoiries le 26 février, Méry se félicite, grâce à sa ténacité, d’avoir empêché de nuire, en vrac: un notaire aujourd’hui devant la cour d’assises; un avocat qui faisait des faux pour spolier un client au bénéfice de l’activité commerciale qu’il menait par ailleurs; un magistrat de Saint-Denis de la Réunion qui décorait d’étoiles de David le nom d’un avocat à consonance juive; un juge qui avait des intérêts dans l’affaire qu’il jugeait…
Ce jour-là, une centaine de personnes (fait rare), clients et collègues curieux, se pressent à l’audience pour entendre MeBernard Jouanneau, conseil de Méry, faire le… procès de l’Ordre qui aurait violé les plus élémentaires droits de la défense lors d’une cascade de poursuites disciplinaires! Chevalier blanc pour ses clients, fou dangereux à l’invective permanente selon les milieux judiciaires, Bernard Méry est une sorte de mousquetaire anachronique: grand, brun, plein de punch, jamais à court d’une formule assassine, le regard insistant de celui qui doit absolument convaincre… Un rien fanfaron, il s’amuse à dresser son tableau de chasse de magistrats mutés et brocarde les chefs du barreau: «Un avocat qui a violé ou piqué la caisse, oui, on le radie! Mais moi, je n’ai aucune plainte de mes clients, j’ai parfois récusé des magistrats, mais c’est l’exercice normal de la procédure…» Et de citer les deux autres cas de radiation pour «manquement à l’honneur» : un avocat qui avait prêté serment à Pétain en 1940, un autre qui avait critiqué la franc-maçonnerie en 1911…
L’Ordre, et son instance disciplinaire, relève surtout que Méry s’en prend aux «magouilles» de juges et d’avocats (adverses) quand ses clients perdent… L’actuel bâtonnier, Paul-Albert Iweins, cible récente de Méry, se défend d’une injuste sanction: «Il dit lui-même qu’il espère faire régner la terreur chez les magistrats car la moindre citation est inscrite à leur dossier et peut freiner leur carrière ! Cet homme multiplie les procédures contre les acteurs judiciaires au risque de plomber ses clients ! Il attaque tous azimuts, il utilise à outrance des mesures dilatoires, mais ses dossiers ne prospèrent pas.» Dix-sept contentieux accablants sont accumulés en quelques années contre Méry. Une conseillère à la cour d’appel, MmeG., le soupçonne même de «manœuvres destinées à déstabiliser une juridiction».
Conclusion du conseil de l’ordre: « Son comportement systématique, fait d’outrance, de discourtoisie, d’indélicatesse et de désinvolture, qui jette le discrédit sur l’institution judiciaire, est indigne d’un avocat et viole le serment qu’il a prêté.» La radiation s’impose. CQFD.
Comment ce plaideur, s’il est si fou, réussit-il à engranger 10% des votes quand il se présente à l’Ordre, ce qui fut encore le cas aux dernières élections professionnelles du 25novembre 2002 ? Et pourquoi diable ses clients se sont-ils mués en fans ? Prenez les Yoh, en procédure depuis des années pour un terrain de 60000 m2 en bord de mer au Pays basque, dont la propriété leur est contestée. Méry a assigné rien de moins que : le premier président de la cour d’appel de Pau (victime d’une «intempérance dite chronique») ;  plusieurs conseillers ; le président du tribunal de grande instance de Bayonne; le greffier en chef et le président de la chambre de l’instruction… Tous complices contre les Yoh, selon Méry: « Ces magistrats illustrent des soutiens anormaux, une concertation d’intérêts. Or, beaucoup appartenaient à une loge maçonnique. Se sentaient-ils tenus par un devoir d’entraide qui expliquerait qu’il soit dérogé à ce point aux droits les plus élémentaires? » In fine, la Cour de cassation a donné raison aux Yoh et cassé… la décision du TGI et celle de Pau. Rude claque pour les magistrats.
« J’ai de la considération pour la maçonnerie, je suis militant des droits de l’homme, explique Me Jouanneau, avocat de Méry malgré maintes mises en garde confraternelles. Au départ, j’étais choqué, puis j’ai compris que Méry ne parlait que de la corruption de certains maçons… Il a le courage de ne reculer devant rien pour la défense de ses clients et c’est devenu rare. Il n’y a qu’un ou deux avocats contestataires sur 18000 au barreau de Paris… Cela m’a révolté qu’on essaie de le faire passer pour fou parce qu’il dénonçait, entre avocats et magistrats, la révérence qui devient parfois de la connivence.»
Voilà pourquoi le dossier Méry est devenu une affaire d’Etat au Palais de Justice de Paris. L’ordre des avocats aurait voulu montrer aux magistrats attaqués qu’il savait mettre au pas les agitateurs, mais les juges de la cour d’appel ont annulé la radiation et retenu seulement 7 des 17 griefs contre Méry, estimant que les autres relevaient de l’immunité attachée à l’expression de l’avocat… «En langage judiciaire, rappelle un témoin ironique, on appelle cela "se faire raser"!» Une leçon de liberté qui en exaspère plus d’un dans les rangs de l’Ordre: « Dorénavant, que des juges traités de "tas de cons" en pleine audience ne viennent plus se plaindre!» Une chose est sûre: tous les juges n’appartiennent pas à la fraternelle… De quoi calmer Méry le radié devenu simple suspendu ? Pas si sûr, il prépare déjà son dossier de cassation.

 Anne-Sophie Martin

 



Les perles de la prose "merryenne"

Florilège
- « La hargne stupide d’un A. [président de chambre à la cour d’appel de Paris, ndlr], cumulée à la turpitude sournoise d’un B. [vice-président d’un TGI de banlieue]»
- « Ce n’est certes pas un hasard si C. [un ex-bâtonnier] et D. [avocat renommé] finissent par convaincre le pauvre lourdaud de E. [un confrère]… l’homme juste émergeant des vapeurs de ses bières quotidiennes, tout suant, se déplaçant pesamment en épongeant une face rougeaude de maréchal-ferrant…»
- «F [haut magistrat] dont on connaît la totale allégeance au pouvoir…»
- « La 11e chambre correctionnelle de Paris… est bien respectueuse envers des escrocs célèbres et puissants. »
- «Sa confraternelle amie G… cette femme si peu gracieuse qu’elle en constitue une insulte contre la nature.»

N.B. Nous avons changé les initiales des magistrats mis en cause par Bernard Méry et parfois modifié la fonction tout en conservant le niveau hiérarchique.